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Alors que la COP30 se déroule à Belém sur fond d’appels à la mise en œuvre des engagements climatiques, le Maroc défend une approche innovante, fondée sur une réforme systémique du financement mondial, pour une transition plus équitable et accessible aux pays en développement.
Dans une interview accordée à MAP-Brésil, la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Mme Leila Benali, détaille les priorités du Royaume dans les négociations et défend, à travers la Contribution Déterminée au niveau National (CDN 3.0), une transition climatique ancrée dans les territoires et guidée par une approche sectorielle d’évaluation du coût réel d’abattement du carbone.
Une COP de “la vérité” : quelles priorités pour le Maroc ?
« Le Maroc aborde cette COP avec la conviction de marquer un tournant décisif pour la mise en œuvre des engagements climatiques », affirme d’emblée Mme Benali. « Fort de plus de trente ans d’expérience dans les politiques environnementales, ajoute-t-elle, le Royaume poursuit avec constance son engagement dans le processus multilatéral ».
Sur le plan du financement, le Maroc plaide pour un cadre international plus équitable, adossé à la « feuille de route Bakou-Belém », qui fixe un objectif collectif de 1.300 milliards de dollars par an. La ministre insiste sur la nécessité d’une répartition équilibrée entre adaptation, atténuation et pertes et préjudices, « avec une part renforcée pour l’adaptation, priorité des pays africains ».
Pour renforcer la capacité d’adaptation justement, Mme Benali souligne « l’urgence d’une opérationnalisation rapide de la feuille de route de Bakou » et appelle également à « la mise en place et au raffinement d’indicateurs concrets » permettant de mesurer les progrès accomplis vis-à-vis de l’objectif mondial d’adaptation.
CDN 3.0 : un engagement innovant
Soumise avant la COP30, la CDN 3.0 illustre, selon Mme Benali, « la constance de l’engagement du Maroc, fidèle à la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI depuis le Sommet de la Terre ».
Elle fixe un objectif de réduction de 53 % des émissions à l’horizon 2035, dont 22% inconditionnels et 31 % conditionnels. Mais au-delà des chiffres, la ministre met en avant « deux innovations majeures ».
D’une part, l’introduction d’un indicateur de coût d’abattement des émissions de gaz à effet de serre par secteur, tenant compte des rendements réels des investissements. « Cela démontre que l’efficacité économique, la rentabilité financière et les bénéfices environnementaux et sociaux de l’action climatique ne sont, ni exclusifs, ni contradictoires », souligne-t-elle.
D’autre part, la mise en relation directe des flux financiers avec les projets d’adaptation territoriaux, en s’appuyant sur les efforts d’atténuation entrepris dans les transitions énergétique, minière et industrielle.
Si ce cadre est élargi à d’autres pays, estime Mme Benali, il pourrait constituer une contribution précieuse au deuxième Bilan mondial (Global Stocktake) en 2028 et orienter l’action collective face à l’urgence climatique.
Partenariats et alliances : un pont entre l’Afrique et l’Atlantique
Le Maroc entend renforcer ses alliances africaines et arabes, tout en consolidant sa position de passerelle entre l’Afrique, l’Europe et l’Atlantique.
« La vision atlantique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI guide notre action. Elle vise à désenclaver les pays du Sahel, à stimuler les économies régionales et à garantir une stabilité durable dans la région », souligne Mme Benali.
Elle cite les interconnexions électriques avec la Mauritanie et l’Europe, ainsi que les corridors de transport et d’énergie développés dans le cadre de l’Initiative atlantique. En parallèle, le Maroc s’emploie à accélérer son accès aux financements climatiques, notamment à travers le Fonds vert pour le climat et d’autres mécanismes multilatéraux.
« Avec nos partenaires européens, comme la Suisse et la Norvège, nous avançons sur des projets structurants liés au marché carbone et aux technologies vertes », fait-elle savoir.
Le Maroc agit ainsi à plusieurs échelles ; Nord-Sud et Sud-Sud, cette dernière prenant désormais une nouvelle dimension : celle d’un ordre coopératif mondial émergent, dans un contexte de reconfiguration des chaînes de valeur et du commerce international.
Transition énergétique : un hub régional en construction
« La stratégie énergétique du Maroc, lancée en 2009, repose sur un triptyque clair : énergies renouvelables, efficacité énergétique et intégration régionale », rappelle la ministre.
À ce jour, la capacité installée en énergies vertes atteint 5,6 gigawatts, soit 46 % de la capacité nationale. L’objectif est de dépasser les 52 % d’ici 2030. Une capacité additionnelle de plus de 15 GW est planifiée pour la période 2025-2030, pour un investissement global d’environ 120 milliards de dirhams, dont 78 % de source renouvelable.
Mme Benali évoque une « nouvelle phase » marquée par l’accélération des projets solaires et éoliens, le développement de l’hydrogène vert et la création d’un écosystème industriel local axé sur la recherche & développement et la digitalisation.
Deux leviers structurent cette dynamique : d’abord, les économies d’échelle, où l’augmentation de la production permet de réduire le coût unitaire de l’énergie, notamment dans des régions comme Drâa-Tafilalet et Dakhla-Oued Eddahab ;
Ensuite, une gouvernance rénovée, gage de soutenabilité du modèle. « Depuis 2021, nous avons engagé une profonde réforme institutionnelle, avec l’adoption de nombreux décrets relatifs aux énergies renouvelables, à l’autoproduction et à d’autres domaines essentiels, afin d’accélérer la transition tout en réduisant les coûts pour le consommateur final », conclut la ministre.
